Dans la peau

L’œuvre sensible et sensuelle de Léo Dorfner, artiste français, investit l’histoire comme lieu de plaisir en la sursignifiant et la signant de son univers quotidien.
La peau des icônes historiques et religieuses est apprivoisée en pages vierges sur laquelle il grave son intimité comme autant de souvenirs. Ces traces-confidences libèrent l’Histoire en lui inspirant un nouveau souffle.
Les cicatrices colonisent le territoire du passé et le réinvente, il devient alors le support d’une écriture personnelle riche de références.
Imaginaire nourri de rencontres improbables entre sacré et profane, personnel et collectif il superpose le passé au présent dessinant ainsi la notion de cycle.


Quel parcours emprunte-t-on pour arriver à l’art ? L’art est-il une histoire de coïncidence(s) ?

Je pense que tous les chemins mènent à l’art, ou plus exactement, il n’y a pas un parcours mais autant de voies que d’artistes ou presque. Pour ma part, j’ai toujours été fasciné par les images : enfant, je dessinais beaucoup. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui s’intéressaient à l’art et qui m’ont emmené voir des expositions. L’art existe pour communiquer des choses qui ne sont pas traduisibles par des mots. Par ailleurs, le parcours d’un artiste est jalonné de plus ou moins de coïncidences, de hasards, de rencontres, qui forgent une sensibilité singulière. 

Quelles sont tes influences ?

Entre autres Michel Houellebecq, Martin Scorsese, Charles Bukowski, Hunter S. Thompson, Andy Kaufman, Andy Warhol, Lou Reed, Serge Gainsbourg, Alex Barbier, George Best, Robert Longo, Jacques Monory, Lars Von Trier, Michael Borremans, Jean-Pierre Melville, Neo Rauch, Raymond Pettibon, Steve McQueen, Wim Delvoye, Wim Wenders, le Velevet Underground, le PSG, Kraftwerk, la Tsingtao, les gitanes, Pere Ubu… 

Quels sont les médiums que tu utilises le plus souvent ?

Très largement l’aquarelle. Puis la sculpture (objets gravés par exemple) et la photographie (numérique et argentique instantanée). 

Symboliquement qu’est-ce que le tatouage selon toi ? Pourrait-il être une fenêtre ouverte sur l’intimité ?

Tout d’abord, les tatouages sont des dessins, c’est-à-dire qu’ils ont une valeur esthétique qui peut être indépendante du sens, puis se charger d’un sens nouveau. Chacun se crée son propre lexique d’images, lié à sa culture personnelle. Bien que le tatouage soit définitif, il ne doit pas être pensé comme forcément intemporel. Je pense que les tatouages sont comme des cicatrices, les stigmates d’expériences passés. Par ailleurs, l’endroit du corps où il se situe conditionne l’intimité ou non du tatouage. L’intimité c’est ce qu’on ne montre pas. 

En tatouant des icônes religieuses, fais-tu exister un lien de culpabilité entre la religion et le tatouage ?

Pas vraiment dans la mesure où un certain nombre de croyants de diverses religions sont tatoués. J’essaie surtout de créer un décalage entre la représentation d’icônes religieuses ou des pin-ups et l’accumulation de tatouages, le rock, les logos de marques d’alcool. C’est aussi un prétexte pour parler de ma vie, de mes goûts etc, de manière plus ou moins codée. La série s’appelle d’ailleurs confiteor ce qui veut dire confession en latin. 

Es-tu tatoué ?

Oui, je me suis tatoué ce que je dessine, à moins que ce ne soit l’inverse.

Y a-t-il quelque chose de pop dans l’iconographie catholique ?

Au sens premier du terme oui, puisque les images pieuses que j’utilise, sont à l’origine produites en masse, et distribuées aux fidèles. Elles font donc partie de la culture populaire, même si cet aspect-là devient de moins en moins évident. D’ailleurs, beaucoup de tatouages reprennent des codes catholiques, comme la vierge, la croix, des citations bibliques, etc. 

Comment crées-tu des liens entre l’iconographie religieuse, les représentations classiques et la culture pop ?

Ce qui m’intéresse avant tout c’est la représentation du corps. Pour la série Confiteor, je recherche des images qui me serviront de supports pour l’accumulation de dessins. Les images religieuses, de part le décalage qui se produit avec les tatouages et leurs qualités esthétiques, sont une source inépuisable de recherches plastiques. Pour les pin-ups, le fait qu’il y ait beaucoup de peau visible me permet d’avoir une plus grande liberté. Le lien entre les différents registres iconographiques se fait à travers mon travail et l’utilisation récurrente d’un lexique graphique qui m’est propre. 

La part de provocation dans ton travail est-elle consciente ou inconsciente ?

Je n’ai aucunement l’impression que mon travail soit provocant. Hormis peut-être pour des dévots, mais ils ne sont pas vraiment spectateurs d’art contemporain. De plus la provocation n’est pas pour moi un but en soi. Je la laisse volontiers à ceux qui recherchent le buzz et qui n’ont pas grand chose d’autre à dire. 

Est-elle un outil de doute ?

Le doute est un sentiment inhérent à la pratique artistique, et même salvateur. Je ne pense pas qu’il vienne de l’hypothétique aspect provocateur de mon travail. Le doute mène à l’expérimentation, qui est le moteur de la pratique artistique. C’est en ça qu’elle est vitale. 

Quelle est la place du texte au sein d’une œuvre ? Est-il un lien, une continuité ou vient-il, au contraire créer un décalage ?

Le texte a une place importante dans mon travail, que ce soit dans la série confiteor, avec les tatouages, ou dans les aquarelles. Il vient souligner le sens d’une œuvre, donner des indications supplémentaires, ou créer un décalage. Parfois il me permet d’évoquer mon intimité, avec des extraits de correspondances privées, ou des paroles de chansons. 

Quels sont tes projets, tes expositions à venir ?

Ma prochaine exposition personnelle se tiendra à la galerie ALB du 18 février au 8 avril 2016. Je serai aussi à Art Paris Art Fair, du 31 mars au 3 avril. Enfin, je participe à plusieurs expositions collectives, notamment EXPOSITION THE VELVET UNDERGROUND. NEW YORK EXTRAVAGANZA à la philharmonie de Paris, du 30 mars au 21 août, Salo IV – Salon du dessin érotique, du 7 au 10 avril au 24 rue Beaubourg ou SEULS/ENSEMBLE – le portrait à l’?œuvre dans l’art contemporain à l’artothèque de Caen, du 15 avril au 4 septembre 2016 


Propos recueillis par Sunda Limbu et CocoVonGollum
Texte CocoVonGollum
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